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Hassan Hami
15 February 2024

Vladimir Poutine-Tucker Carlson : un influenceur à distance dans les élections présidentielles américaines

Vladimir Poutine-Tucker Carlson : un influenceur à distance dans les élections présidentielles américaines
Vladimir Poutine-Tucker Carlson : un influenceur à distance dans les élections présidentielles américaines

Hassan Hami

L’interview que le président Vladimir Poutine a accordée, le 9 février 2024, à Tucker Carlson, ancien présentateur à Fox News, a bien circulé sur les réseaux sociaux. La lecture et les commentaires qui lui ont été consacrés ont varié dans leur substance et  pertinence. Certains ont parlé de bluff et de manipulation. D’autres y ont vu un chef d’État en manque d’inspiration qui s’est livré à un exercice de propagande pitoyable. Une troisième catégorie a apprécié la lecture géopolitique d’une étape cruciale que traverse le système international qu’a faite le chef du Kremlin.

Je partage dans les lignes suivantes ce que je pense de l’interview qui diffère, de mon point de vue, de toutes celles que Poutine avait données depuis 2007, date de son fameux discours à la conférence de Munich sur la sécurité. Cependant, elle confirme la description faite de lui dans de nombreux livres qui lui ont été consacrés depuis le déclenchement de la crise russo-ukrainienne. Un interlocuteur froid, inébranlable et qui n’a pas peur d’aller au charbon pour faire valoir sa thèse.

 L’importance de cette interview réside dans le fait qu’elle présente une lecture géopolitique qui laisse entendre que la Russie ne perdra pas beaucoup au change. Poutine a dominé son interlocuteur de bout en bout. Carlson, ultraconservateur, est venu avec un agenda pour imputer la responsabilité de la guerre entre la Russie et l’Ukraine à Poutine. Carlson est reparti plus perplexe qu’il ne l’était en arrivant à Moscou. Poutine a réussi à orienter l’interview à son avantage.

En écoutant attentivement l’interview, on peut relever au moins trois niveaux. Le premier est celui de l’amertume, de la déception et de la colère que couve le chef du Kremlin. Poutine a choisi l’histoire pour défendre la thèse russe. Il rappelle les péripéties les plus importantes ayant marqué l’histoire tumultueuse de la Russie (et de l’Union soviétique).

Cette histoire est caractérisée par des périodes d’extension et de rétrécissement, sans toucher au cœur de Russie profonde. Il était assez amusant de voir Carlson écouter son interlocuteur comme un écolier, sans oser placer un mot pour reprendre le dessus.

Il ressort du rappel historique que la Russie a été dupée depuis la fin de la Première Guerre mondiale et de la Deuxième Guerre mondiale. Certes, la Russie (l’URSS) a eu une part de responsabilité dans la division de travail entre Est et Ouest pour dominer la politique internationale, mais cela n’a pas empêché le pays de laisser des plumes à l’occasion de certaines péripéties de la Guerre froide.

Plus que la trahison, l’humiliation

Le deuxième niveau est celui de la nouvelle géopolitique échafaudée depuis le début des années 2000 telle que la Russie la perçoit. En effet, les premières années du nouveau millénaire ont commencé par un choc planétaire à la suite des attentats terroristes de septembre 2001 qui ont frappé les Etats-Unis. Ces derniers ont ressenti leur vulnérabilité au même titre que le reste des pays dits démocratiques.

La perception du terrorisme a depuis lors changé. Sur ce chapitre, le président Poutine lance indirectement une flèche à l’adresse de l’opinion publique occidentale. Il rappelle que ce qui s’est passé dans le Caucase du Nord, notamment en Tchétchénie, au Daghestan, en Tatarstan et en Ingouchie, ne différait pas des actions terroristes qui ont ébranlé les États-Unis. Il s’est agi d’une agression mûrement réfléchie pour déstabiliser ce pays.

Du reste, sur le même chapitre, Poutine rappelle que son pays a été la cible d’agressions tout au long de son histoire. La Russie a toujours été en guerre et il n’est pas prouvé qu’elle ait été la première à en commencer une. Dans le même esprit, il rappelle que la décision d’envahir et d’annexer la Crimée a été dictée par la perception d’une agression encore plus dramatique visant à vassaliser son pays sous prétexte de promouvoir la démocratie dans les anciens pays de l’Est.

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Le troisième niveau est celui de la perte de confiance dans les interlocuteurs américains et européens de la Russie. S’appuyant sur son argumentaire historique, le président russe énumère ses griefs. Une série de voltefaces que les Américains et les Européens auraient commises.

Premièrement, le non-respect des engagements pris à la veille et au lendemain de la décomposition de l’URSS. L’un des engagements les plus stratégiques a été de ne pas élargir l’OTAN pour intégrer d’anciens pays de l’Est. Selon les planificateurs politiques et stratégiques russes, après la dislocation du Pacte de Varsovie, il n’y avait plus aucune raison de maintenir l’OTAN dans sa structure ancienne, puisque le danger soviétique avait disparu. Ceci étant, la Russie n’avait aucune raison particulière de s’opposer à ce que ces pays intègrent l’Union européenne.

Deuxièmement, la réunification allemande a été acceptée par la Russie, (à contrecœur peut-être), en contrepartie de ne pas brusquer les transitions dites démocratiques dans les pays de l’Est et encore moins de précipiter le chaos qui a démoli la Yougoslavie. Le président Poutine l’a clairement exprimé, quand il a abordé la dimension ethnique du conflit entre la Russie et l’Ukraine. La Russie ne pouvait rien faire pour venir en aide aux Serbes qui sont, comme les Russes,  une branche des peuples slaves.

Troisièmement, au lieu de s’en tenir à leurs engagements vis-à-vis de la Russie, les États-Unis et leurs alliés européens ont fait recours à l’arme énergétique en séduisant des pays qui font partie de l’espace vital russe. Ils ont accompagné leurs agissements par la proposition, via l’Union européenne, du Partenariat oriental qui n’était autre qu’une tentative de créer une fissure dans les relations, déjà complexes entre Moscou et ses « anciennes républiques », notamment celles du Caucase du Sud qui n’ont pas vraiment négocié leur indépendance, à l’image de la Géorgie et de l’Azerbaïdjan.

Là, aussi, à l’instar de ce qui se passera plus tard avec la Crimée, la Russie n’a eu de choix que de pousser à l’indépendance unilatérale de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, territoires faisant partie intégrante de la Géorgie.

Quatrièmement, les États-Unis et les Européens, n’auraient pas respecté leurs engagements à échanger les informations stratégiques d’importance vitale pour les Russes, à la veille et durant l’exécution des frappes aériennes ayant précipité la chute du régime de Mouammar Kadhafi en Libye en 2012.

Il ressort de ces explications que le président russe est rongé par le sentiment que son pays a été non seulement trahi, mais surtout humilié.

La Russie, n’est pas le dindon de la farce que tout le monde croit

Le même sentiment est exprimé eu égard à la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Ni le principe de la neutralité de l’Ukraine annoncée en 2008, ni le protocole de 2014, ni celui paraphé à Istanboul en 2022, n’ont été respectés par les différents intervenants dans la crise. Pour le chef du Kremlin, les dirigeants ukrainiens ne sont pas maîtres de leurs décisions. Un accord aurait été conclu à Istanboul, mais Boris Johnson, ancien Premier ministre britannique, agissant en tant que messager, aurait dissuadé les dirigeants ukrainiens d’aller de l’avant dans l’amorce du processus de paix.

Comment peut-on apprécier, épiloguer ou garder une distance par rapport aux différents argumentaires russes, américains et européens ?

Premièrement, un constat : La particularité de la structure mentale des décideurs russes est la gestion du temps. Ils puisent leur force dans l’interprétation qu’ils font de l’histoire propre de leur pays. Il était curieux de constater comment le président Poutine a fait référence au dirigeant mongol Gengis Khan et à Staline. Les deux personnages ont marqué leur époque de manière sanguinaire, mais justifiée par la conviction de brasser large pour survivre. Ceci, n’empêche pas Poutine de placer un bémol à l’adresse de Staline, notamment sur la séquence  de la cession et de la récupération de la Crimée.

La même gestion du temps a été constatée lors du processus de négociation à la veille et au lendemain de la décomposition de l’Union soviétique. À cet égard, le président Poutine efface d’un revers de la main l’idée saugrenue, selon lui, que Boris Eltsine fût un incompétent ou un bouffon. Il a exprimé tout le respect qu’il nourrissait à son égard, pour avoir permis à la Russie de ne pas tout perdre d’un seul coup au moment où tout laissait croire que l’empire ne survivrait pas à son agonie programmée. Une reconnaissance justifiée du fait que c’était grâce à Eltsine que Poutine est arrivé au pouvoir.

Deuxièmement, le rappel des grandes lignes de la perception de la sécurité mondiale et de la nouvelle géopolitique dans le monde. Cette perception est la même depuis le discours de Munich de 2007. Dans ce discours, Poutine a plaidé pour un monde multipolaire et pour la nécessité de respecter les choix souverains de chaque pays quant à la manière de structurer ses institutions politiques. Ce discours qui stigmatise ce que Poutine appelle « l’expansionnisme américain » est important dans la mesure où il a lancé un avertissement aux États-Unis, au Royaume-Uni, à la France et à l’Allemagne que la Russie était de retour. Un appel qui n’aurait pas été apprécié à sa juste valeur en son temps.

Des conséquences immédiates: L’invasion de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, le déclenchement de la crise énergétique avec l’Ukraine en 2008, l’installation d’obstacles à la mise en œuvre du Partenariat oriental, amorcé en 2009,  au profit des anciennes républiques soviétiques du Caucase du Sud, (l’Azerbaijan, l’Arménie, la Géorgie), la Moldavie, la Biélorussie et l’Ukraine, le blocage des processus de construction de gazoducs entre l’Azerbaidjan, le Turkménistan et certains pays européens passant par la Géorgie et la Turquie.

La Russie a obtenu gain de cause en empêchant la construction d’un gazoduc aussi important que celui de Nabucco. Au-delà du coût faramineux du projet de Nabucco, la Russie a réussi à diviser les pays européens membres de l’Union européenne, tels que la Bulgarie, la Roumanie et l’Italie, sur l’opportunité de faire passer ce gazoduc par leurs territoires respectifs.

Troisièmement, l’échec de la stratégie occidentale de faire abdiquer la Russie par la création des conditions du déclenchement de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Une décennie et demie après, on revient à la case de départ. La Russie n’est pas tombée. L’Ukraine ne se sent pas plus sécurisée. Elle perd une partie de son territoire. La Russie a trouvé des palliatifs pour vendre son gaz. Elle avait déjà anticipé cela en signant un accord d’approvisionnement de 400 milliards de dollars avec la Chine en 2014 pour une période de trente ans.

Quatrièmement, l’importance de l’Histoire pour comprendre la Géographie. Sur ce chapitre, le président Poutine a fait une démonstration magistrale, en se moquant implicitement de ceux qui font des leçons de morale sur les guerres justes et les guerres injustes.

Sans verser dans l’exagération, Poutine remet en cause le principe de l’intangibilité des frontières. Toute l’histoire de l’Europe a été marquée par des processus de conquêtes et de récupération de territoires. Les cartes politiques ont été dessinées sans tenir compte des réalités culturelles et ethniques. Il saisit cette occasion pour rappeler que des territoires hongrois, polonais, bulgares et autres ont été rattachés à l’Ukraine et qu’il appartiendrait à ces pays de les réclamer si bon leur semblait.

En insistant sur la dimension historique de la géopolitique, le président Poutine épingle ceux d’entre les politicologues à la carte qui survolent l’histoire de l’Empire russe, et qui s’érigent en apprenti-sorciers d’une culture que certains dissidents russes ont transformée, à leur insu,  en un fonds de commerce au grand plaisir de leurs soutiens en Occident.

De même, des spécialistes américains des affaires russes, y compris des diplomates chevronnés tels que Condoleezza Rice ou William Burns, n’auraient, selon Poutine, que partiellement compris la psychologie et la structure mentale des Russes. Ils ont participé à toutes les négociations d’envergure sur les relations stratégiques entre la Russie et les États-Unis. Ils sont de bons négociateurs, très respectés, mais il semblerait, observe-t-il, qu’ils n’aient pas eu d’impact réel sur les affaires en suspens.

Pourquoi ? Le président Poutine ne s’offusque pas d’épingler des centres de décision plus forts que les politiciens et stratèges américains, qui constituent ou sont membres de ce qui est qualifié d’Etat profond.

Cinquièmement, le système international est bel et bien sur une nouvelle trajectoire, celle de la multipolarité. Certes, les États-Unis ont toujours une longueur d’avance sur les autres compétiteurs; mais la distance commence à rétrécir. Sur ce chapitre, Poutine a été on ne peut plus à l’aise en déplumant Tucker Carlson quand celui-ci a évoqué l’équilibre de puissance au sein des BRICS.

Carlson a posé la question de l’ascendance de la Chine sur les autres membres des BRICS. Au lieu de tomber dans le piège, Poutine dit que la Chine va bientôt damer le pion aux États-Unis et qu’elle était déjà une puissance mondiale allant dans le sens de l’installation d’un système international multipolaire  que la Russie appelle de ses vœux. De même, la Chine et la Russie sont membres de l’Organisation de coopération de Shangani créée en 1996. Il n’est pas dit ou constaté non plus que la Chine y exerce une quelconque hégémonie.

Sixièmement, la Russie semble être maitresse en matière de recul stratégique quand les moyens de tenir tête à ses adversaires ne sont momentanément pas au rendez-vous. C’est ainsi que les décideurs russes ont appliqué la même stratégique opérée par Lénine au lendemain de la victoire des Bolcheviques comme prélude à la mise en œuvre de la nouvelle politique économique (NEP) en 1921.

C’est ainsi que les décideurs russes ont fermé les yeux sur les opérations militaires de l’Azerbaïdjan ayant abouti à la récupération depuis 2022 de presque la totalité de la province de Nagorno-Karabakh qui avait été occupée par des séparatistes arméniens. Moscou s’est aperçu que le lobby arménien, notamment aux États-Unis, en France -et même en Russie-, commence à flirter avec Washington et Paris. De même, l’Arménie était devenue un fardeau économique et sécuritaire insupportable. La Russie, se rappelant à la logique de l’histoire et des découpages administratifs sous l’Empire soviétique, a laissé faire pour s’occuper de ses frontières ouest.

Septièmement, la Russie ne se laisse pas faire. À l’instar de ce qui s’est passé, lors de la crise d’octobre 1962, quand l’URSS a déployé des missiles à Cuba en réponse à l’installation de missiles américains en Italie et en Turquie, la Russie fait éclater la division de travail implicite entendue entre l’Ouest et l’Est schématisée par le « discontinuity paradigm ».

Combinant le principe de la gestion du temps avec celui de parer au plus pressé, la Russie occupe le terrain abandonné par inadvertance ou mauvais calcul géopolitique par des puissances européennes intermédiaires en Afrique, notamment la France et la Belgique.

Pas de mea culpa, une entrée par effraction dans élections présidentielles américaines

Huitièmement, puisant dans le précédent de Black Waters, société privée de sécurité, que les États-Unis ont mis en œuvre en Irak, la Russie utilise une société similaire, Wagner, comme agent interposé en Syrie, en Irak, en Ukraine, en République centre-africaine, au Mali, en Libye pour ne citer que ces pays. Elle ramasse la mise.

Neuvièmement, la Russie est soucieuse de défendre son espace vital coûte que coûte. Il est loin le temps où les Européens, en tant que courroie géopolitique, lèvent leur voix pour défendre l’indépendance des républiques autonomes du Caucase du Nord.

Tout comme il est loin le temps où, à la faveur du « printemps arabe’’, les mêmes acteurs étatiques (ou leurs supports sécuritaires) nourrissaient l’espoir de voir un ‘’printemps caucasien’’ se déclencher pour asséner le coup de grâce à une Russie qui se remettait à peine de son traumatisme provoquée par la fin de la Guerre froide et la dislocation de son empire.

Dixièmement, la Russie fait exécuter la menace que Poutine a proférée contre la France en déclarant, il y a quelques années, que son pays n’avait pas besoin de faire une guerre conventionnelle à l’Europe ; il lui suffirait de s’installer dans certaines anciennes colonies européennes  pour mettre à genou le Vieux continent.

Profitant de l’essoufflement de certains pays comme la France, la Russie pénètre, Wagner aidant, en Libye, en République centre-africaine, au Mali et au Burkina Faso. Elle encourage indirectement les mouvements qui ont fini par obliger la France à se retirer militairement de ces pays. Le piège tendu à la France serait une punition pour avoir trahi ses engagements à la suite de la réunification allemande et à son intervention dans l’espace vital soviétique (Géorgie 2008, Partenariat oriental, Nagorno-Karabakh, Biélorussie, etc.).

La Russie est entrée en Afrique subsaharienne pour y rester. Elle  le fait comme elle l’avait fait en allant en Syrie quand l’éventualité  de voir le régime baathiste syrien tomber risquait de porter atteinte à ses intérêts sécuritaires. Elle barra la route à l’approvisionnement de l’Europe par le gaz qatari ; ce qui allait affaiblir son pouvoir de marchandage dans le Caucase du Sud dans le cadre de la géopolitique de l’énergie.

Onzièmement, le président Poutine joue un coup de génie en se prêtant au jeu de son interlocuteur, Tucker Carlson, pour, en fin de compte, le manipuler. Il utilise savamment à son avantage la casquette de ce dernier, qualifié de conservateur intraitable, mais qui s’est permis quand même de critiquer les choix stratégiques des États-Unis dans la guerre opposant la Russie à l’Ukraine.

Cependant, Poutine va plus loin, il joue presque le même scénario qui a été exécuté lors des élections présidentielles américaines en 1916. À l’époque, à l’issue de ces élections amenant au pouvoir un outsider, Donald Trump, la Russie a été accusée d’être intervenue par des moyens douteux dans ces élections, en mettant à nu la vulnérabilité américaine.

Démocratie et géopolitique, une fausse note dans l’air

Aujourd’hui, grâce à Tucker Carlson et aux courants conservateurs qui partagent ses convictions politiques et idéologiques – et à leur insu – Poutine se présente comme un influenceur à distance. Il n’a pas accepté de donner cette interview pour défendre ses choix stratégiques en Ukraine et dans l’espace ex.Soviétique, en général. Il se présente comme vainqueur, et décline de manière feutrée, ses conditions pour mettre fin à la guerre de la Russie contre l’Ukraine et, d’une façon générale, pour amener les pays européens qui, selon lui, se sont fait berner par les Américains, à de meilleures dispositions.

Il développe un argumentaire séduisant. Un : La Russie est certes affaiblie, mais elle n’a pas perdu la guerre. Deux : Les territoires ukrainiens conquis et annexés par la Russie, ne retourneraient jamais sous souveraineté ukrainienne —et en tout cas, jamais sous la forme institutionnelle arrêtée avant et après le protocole signé à Minsk en 2014. Trois : A défaut d’une solution acceptable par toutes les parties impliquées, ces territoires subiront le sort de la Crimée, c’est-à-dire, une annexion définitive advienne que pourra. Quatre: Les sanctions économiques n’ont rien donné. Au contraire, elles auraient facilité l’éclosion d’un front anti-occidental notamment parmi les pays émergents. Les BRICS en sont l’exemple le plus éloquent, bien que ce rassemblement ait un long chemin devant lui avant d’avoir un vrai droit au chapitre. Cinq : Des relations relativement saines entre la Russie et les pays européens ne peuvent se concrétiser sans le respect total de l’espace vital russe. Six : Au lieu de se focaliser sur la Russie, les États-Unis devraient plutôt observer la Chine, qui finira par les reléguer au second plan de la hiérarchie de la puissance dans le monde vers la fin de ce siècle.

Est-ce à dire que le président Poutine a gagné des points sur ses adversaires sur le plan géopolitique ? Et est-ce que la Russie a les moyens de résister à la guerre d’usure qui lui est livrée ? Est-ce que la Russie n’a rien à se reprocher dans tout cela ? Loin s’en faut.

Quelles sont les options qui restent entre les mains de la Russie ? Un : Maintenant que la Russie semble avoir persuadé les Occidentaux de se tenir momentanément tranquille et de ne plus se hasarder dans son espace vital, notamment dans le Caucase et l’Asie centrale, elle peut faire un effort dans la résolution des conflits latents qui se déroulent ailleurs.

Deux : Moscou a certes commencé par Nagorno-Karabakh au grand dam de l’Arménie et des pays européens farouches tels que la France ou les États-Unis, membres du Groupe Minsk, qui demeurent sous influence du lobby arménien dans les deux pays. Mais il devrait aller encore plus loin : revoir ses relations d’alliance sur la base de l’idéologie communiste-socialiste qui n’a plus aucun impact sur les décisions géopolitiques de nombreux pays en développement, au sein desquels la Russie garde des sympathisants.

Trois : Les États-Unis et leurs alliés européens n’ont pas dit leur dernier mot. Ils ont besoin de maintenir la tension en effervescence pour des considérations politiques internes et des choix géopolitiques inévitables dans cette période confuse de transition que connait le système international.

Quatre : Les Européens ont échoué à nuire à l’alliance entre la Russie et la Chine. Par ailleurs, la déclaration faite par l’ancien président américain Donald Trump selon laquelle, s’il était élu en novembre 2024, il reprendrait sa politique à l’égard de l’OTAN. Les Européens devraient payer les États-Unis en contrepartie de leur sécurité. À défaut, ils seraient laissés à la merci de la Russie. Cette déclaration est tombée comme une tuile sur les têtes de nombreux décideurs européens. D’autant que dans la même logique, Donald Trump dit que s’il était élu, il mettrait immédiatement fin au soutien démesuré des États-Unis à l’Ukraine et travaillerait à une solution négociée avec la Russie.

Cinq : La Russie devrait renoncer à sa tentation impériale sous prétexte de reconquérir des parcelles de territoires qu’elle juge lui appartenir de par l’histoire, la culture et la durée de souveraineté.

Six : La dimension ethnique est certes importante dans la perception de l’histoire complexe de l’Europe centrale et de l’Europe de l’Est en général, mais il serait dangereux d’ouvrir une brèche dans la recomposition politico-géographique des États concernés. Les blessures causées par la Première et la Deuxième Guerre mondiales et les dommages collatéraux provoqués par la Guerre froide et les péripéties des années 1990 sont plus douloureux et s’ils sont remués, ils risquent de conduire à une guerre généralisée encore plus meurtrière.

Sept : vers la fin de l’interview, Carlson a posé une question dans le même sens, à laquelle le président Poutine a répondu par l’appel à l’entame immédiate de négociations avec l’Ukraine et les autres parties concernées. Il résume ce processus par une formule laconique : « Quand il y a une volonté politique sincère, les options de résolution sont nombreuses. » Certains diraient des négociations selon les termes que Poutine a déjà déclinés indirectement dans cette interview. Le maitre-mot serait ni résignation aveugle, ni humiliation mortelle.

Huit : À défaut, la Russie, qui n’a pas atteint les objectifs qui ont dicté l’intervention en Ukraine, continuera la guerre. Coup d’épée dans l’eau, menace gratuite ou fuite en avant ? En politique, lorsque la dimension existentielle s’invite au débat, elle brasse large et peut transformer le bluff en des vérités premières imbattables.

Source : https://maroc-diplomatique.net/

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