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Hassan Hami
24 February 2024

Transition politique et retour diplomatique: le rituel casse-tête en Algérie

Hami Hassan
Hami Hassan

Une énième réunion du Haut Conseil de sécurité, un rituel qui frise la mégalomanie, et voilà une annonce au plus haut sommet de l’État algérien, sans sourcil froncé, de la création d’une zone de libre-échange entre l’Algérie, la Mauritanie, le Mali, le Niger, la Libye, le Tchad et la Tunisie. Surprise des observateurs ? Pas du tout.

Tout le monde est habitué à des annonces du genre qui attestent d’un affolement devenu chronique et d’une fuite dans le déni qui devient un sacerdoce pour gagner du temps. Gagner du temps, pourquoi faire ? Les observateurs avertis n’en ont aucune idée. Dès lors, l’idée soutenue, selon laquelle les structures du pouvoir politique en Algérie sont  difficiles à déchiffrer, devient une boutade.

L’Algérie est désormais prévisible dans son agitation intranationale et sa course contre la montre pour redorer son blason en politique étrangère. Pendant trois décennies au moins, l’Algérie a bénéficié du concours de lièvres de service qui lui permettaient d’évoluer avec aisance sur un échiquier stratégique et diplomatique dopé par ‘’une idéologie révolutionnaire’’ que personne ne remettait en cause, tant les pétrodollars aveuglaient les yeux des curieux de tous bords.

L’Algérie traverse une période difficile sur le plan politique intranational et sur le plan diplomatique dans une sous-région dans laquelle elle faisait, par moments, le beau et le mauvais temps. Désorientés, pour ne pas dire déboussolés, les décideurs politiques algériens ont épuisé toutes les cartes de l’ascendance psychologique sur les autres décideurs politiques régionaux. Du moins, c’était l’impression qui s’est dégagée durant une bonne trentaine d’années avant que tout le monde découvre le pot aux roses.

Les décideurs algériens ont toujours fait de l’image de leur pays une priorité, même si parfois cette hantise a été nuisible à leur cohésion interne. L’affolement des décideurs algériens se vérifie par une série de comportements et de décisions sur le plan intérieur et extérieur. Sans remonter plus loin, on peut citer quelques exemples qui renforcent cette thèse, en commençant par les toutes dernières.

Une zone de Libre-échange n’est pas un marché aux puces

Premièrement, l’annonce en trompe de la création d’une zone de libre-échange entre l’Algérie et les pays du Sahel. Une lecture naïve et irrationnelle des relations économiques internationales. Une zone de libre-échange n’est ni un marché aux puces ni une randonnée dans les buissons du commerce extérieur.

Voilà un pays qui : 1) peine à rejoindre l’Organisation mondiale du commerce ; 2) a des relations en dents de scie avec l’Union européenne, à cause du non-respect de ses engagements à l’égard d’un pays membre, l’Espagne ; 3) a vu sa candidature aux BRICS rejetée (justement pour n’avoir pas d’économie solide et diversifiée) ; 4) n’exporte pas grand-chose à l’exception des hydrocarbures ;  et 5) importe presque tout etc.

Lire aussi : Nouvel échec du polisario et de l’Algérie : La vérité derrière la « Visite » de Ghali en Irlande

Deuxièmement, le ciblage des pays qui seraient éligibles à la zone de libre-échange est une démarche politicienne qui ne trompe que ses initiateurs. À l’exception de la Mauritanie (du moins théoriquement), tous ces pays ne sont pas en odeur de sainteté avec l’Algérie.

Les pays sahélo-sahariens voisins ont tous une dent contre une Algérie qui les perçoit comme des acteurs étatiques de seconde zone, sinon comme une base-arrière dans sa lutte qu’elle livre aux autres voisins d’Afrique du Nord. La Libye ne s’accommode plus de l’immixtion de l’Algérie dans ses affaires intérieures en prenant partie pour une faction contre les autres. Le litige sur les frontières est remis sur la sellette. La Tunisie est considérée par une bonne partie de la classe politique algérienne comme un département algérien.

Troisièmement, la création en 2020 d’une agence de coopération internationale dotée d’un budget d’un milliard de dollars américains pour promouvoir la coopération avec les pays africains. Une tentative de concurrencer l’Agence marocaine de coopération internationale qui a presque cinquante ans d’existence. Là aussi, le ciblage a été de mise : les pays concernés ont été ceux qui avaient longtemps fait cause commune avec l’Algérie dans sa rivalité géopolitique avec le Maroc. L’objectif a été de freiner l’élan de retrait de reconnaissance du Polisario ou de se prémunir contre l’éventualité que la pseudo-rasd soit éjectée hors de l’Union africaine.

Quatrièmement, la tentative de création d’un axe maghrébin contre le Maroc. Une répétition du même scénario concocté depuis les années 1980. Cela a commencé par faire adhérer aux thèses algériennes des mouvances politiques ou des acteurs de la société civile en Tunisie et en Mauritanie (dont certains acteurs sont inféodés au Polisario ayant obtenu la nationalité mauritanienne) et en Libye. On se rappelle la sortie  en 2021 du leader islamiste Rached Ghannouchi appelant à un Maghreb sans le Maroc et la Mauritanie. On se rappelle aussi la sortie sur les chaines satellitaires de certaines personnalités mauritaniennes partant en guerre contre le Maroc.

Cinquièmement, la répétition du même discours sur la question du Sahara, l’explantation des évènements sportifs et culturels pour stigmatiser le Maroc.

Sixièmement, le repêchage d’anciens vétérans de la diplomatie algérienne pour redorer le blason d’un pays qui a tout perdu au change. Ceux-là mêmes qui passaient pour être des personnages hors-pair, alors que c’étaient les pétrodollars qui faisaient l’affaire. L’un après l’autre ont fini par jeter l’éponge, car ils ont réalisé que le plus que parfait n’est pas le présent indicatif.

Septièmement, la fin de la conditionnalité politique et stratégique dans l’espace nord-africain et sub-saharien. La tentation hégémonique s’essouffle au fur et à mesure que la conscience africaine se remet de son amnésie historique pour renaître à la politique internationale.

Huitièmement, la faillite d’un système basé sur la rente mémorielle et la sacralisation d’une révolution dont les vrais acteurs ont été soit neutralisés soit liquidés au lendemain de 1962. Cette date coïncide avec la création de l’État algérien à la suite d’un référendum d’autodétermination arrangé (indépendance dans la continuité de la cooptation conditionnelle avec la France).

Neuvièmement, le rôle d’agent interposé sinon d’acteur de paille dans les équations géostratégiques impliquant l’ancien colonisateur et l’ex-Union soviétique. Cela a posé le dilemme de l’État à construire et de la nation à inventer.

Un nouveau son de cloche : la transition générationnelle

Dixièmement, la fin de la culture du bluff. Le mensonge en tant que fonds de commerce est au bord de la faillite.

Onzièmement, la politique de la terre brûlée et du credo « Après-moi, le déluge », ne résolvent pas l’équation de l’impuissance d’un système politique dont les acteurs tournent en rond.

Face à ces constats, les décideurs algériens, consciemment ou par réaction intuitive, commencent à bruiter des messages à l’adresse de l’opinion internationale. Le dernier message en date est celui de la nécessité ‘’d’une transition générationnelle’’. L’utilisation du terme ‘’transition’’ est un aveu d’échec de toutes les manœuvres visant à maintenir le système politique dans sa forme actuelle.

À cet égard, certains observateurs sont d’avis que les différents centres de décision au sein du pouvoir algérien ne savent plus à quel saint se vouer. La disparition de Khaled Nezzar, qui avait été accueillie par le soulagement de la plupart de ses complices lors de la décennie noire (1991-2002), ne semble pas avoir calmé le jeu ni sur le plan interne, ni sur le plan international.

Si bien que d’aucuns voient dans le refrain de la transition générationnelle un prélude au scénario de report des élections présidentielles prévues cette année. Est-ce que le président Abdelmajid Tebboune n’est plus le choix idéal de la frange dominante au sein de l’institution militaire ?

Quelle que soit la lecture de l’échiquier politique interne, une chose est certaine : les décideurs algériens pataugent.  Le président Tebboune, lui-même, nage dans la confusion totale.  Il reste suspendu à l’espoir d’effectuer une visite officielle en France avant la date hypothétique des élections présidentielles.

Car, il est maintenant acquis que les candidats aux élections présidentielles organisées depuis la mort de Houari Boumediene, devaient avoir le feu vert des autorités françaises. La plupart des livres et mémoires écrits par des personnalités politiques et diplomatiques algériennes et françaises relatent les péripéties des négociations difficiles entre l’institution militaire algérienne et des structures avérées en France pour se mettre d’accord sur le candidat approprié.

Or, le go-ahead français est devenu suspect depuis que la visite programmée du président Tebboune a été reportée en 2023. Mais surtout depuis le lancement de signaux en France traduisant la volonté des décideurs français de tourner progressivement la page des malentendus avec le Maroc. Si ces signaux sont observés avec prudence par certains centres de décision au Maroc, tant il est vrai que l’ambiguïté de la position française au sujet du Sahara marocain n’est pas levée, ils n’en posent pas moins un drame kafkaïen aux décideurs algériens.

En effet, Paris reste parmi les rares pays membres de l’Union européenne à jouer sur le temps et demande que le Maroc comprenne qu’elle ne peut brusquer une position claire en sa faveur sans provoquer une hécatombe en Algérie, pouvant aller jusqu’à pousser les décideurs algériens à commettre une folie aux conséquences militaires, sécuritaires et diplomatiques dangereuses.

Si certains responsables politiques français reconnaissent que le fait de tout parier sur l’Algérie au détriment du Maroc sans faire dans l’équilibre a été une erreur stratégique naïve et malheureuse, ils n’en pensent pas moins que l’Algérie reste leur seul relais dans une région maghrébine et subsaharienne qui ne sent plus la présence militaire, sécuritaire et politique française.

Les décideurs algériens aux abois passent de la diplomatie offensive, qui fut pendant longtemps leur fer de lance, à une diplomatie réactionnelle, qui provoque la risée des observateurs neutres. Preuve en est la saccade de tournées récentes du chef de la diplomatie algérienne dans certains pays arabes et africains. Auprès des pays arabes, le diplomate algérien a plaidé la cause de la victime dans le conflit de son pays avec le Maroc et les Émirats arabes unis. Auprès des pays africains, il a utilisé la politique du bâton et de la carotte.

En réalité, l’objectif a été de convaincre les pays maghrébins de favoriser la candidature de la pseudo-rasd pour présider l’Union africaine dans le cadre de la rotation régionale appliquée en la matière. Fin de non-recevoir. L’Algérie est convaincue que les temps de la supercherie et de la mainmise sur l’Union africaine sont révolus. Elle a perdu la guerre contre le Maroc sur le Sahara, et elle perdra son acharnement à maintenir en vie une entité fantôche, déjà en situation de mort clinique.

L’autre pari que l’Algérie souhaite réussir est celui de jouer la carte du patronage de l’élection d’un nouveau président de la Commission de l’Union africaine, car le mandat de Moussa Faki Mahamat arrivera bientôt à terme. Un candidat maghrébin aurait une forte chance de l’emporter. Cependant, cela risque de ne pas se concrétiser, car le scénario de la présidence tournante de l’Union africaine relaté plus haut risque de se répéter. L’Algérie, en conflit avec la plupart de ses voisins maghrébins, pousserait vers la candidature d’un tunisien, comme elle l’a fait pour la présidence de l’Union africaine où elle aurait convaincu le président Kaïs Said de tenter sa chance à la dernière minute. De l’absurdité diplomatique et de la myopie géopolitique.

Des observateurs avertis, y compris des Algériens, ont récemment parlé de la militarisation de la diplomatie algérienne. Or, l’armée, en tant que composante du Haut Conseil de sécurité, peut participer à la prise de décision en politique étrangère, mais elle ne peut pas faire de la diplomatie.

On ne peut pas construire un État, obtenir l’adhésion de son peuple et s’inscrire dans la logique de la coopération internationale, en inventant des ennemis fictifs et en sacralisant la théorie du complot.

Le référentiel idéologique se consume faute de choix objectifs et rationnels. Sur ce registre, force est de constater l’utilisation, à quelques exceptions près, du même logiciel d’agressivité à l’encontre du Maroc et certains pays africains et arabes aussi bien par des partisans du système et par ceux qui se réclament de l’opposition.

En tête des listes de ces acteurs, certains nostalgiques du boumediénisme et du Front de libération nationale. Ils rappellent le comportement des partisans du panarabisme et du panafricanisme dans de nombreux pays africains et arabes. Des acteurs  qui font fi des réalités géopolitiques et de l’impossibilité d’exister dans un étang regorgeant de crocodiles.

Les décideurs algériens ont une seule obsession, le Maroc. Travaillant avec acharnement à faire plier ce pays, ils perdent la boussole. Ce faisant, ils puisent dans leur amnésie les sources de leur divagation. Ils oublient que leur pays a été une dépendance stratégique – pour ne pas dire un département français d’outre-mer, comme le qualifient certains historiens qui n’ont pas la langue dans leur poche.

La création d’un conflit artificiel pour empêcher le Maroc de récupérer ses provinces du Sud a fini par se retourner contre l’Algérie. Le tracé des frontières avec les pays voisins, concocté par la France dont ils ont eu la garde, est contesté depuis des décennies et il l’est encore plus aujourd’hui.

Le bilan de la diplomatie algérienne n’est pas des plus heureux. Une série d’échecs : 1) pas de percée au sein du mouvement des pays non-alignés durant les deux dernières années ; 2) pas de consensus sur son adhésion aux BRICS ; 3) pas de résultats probants dans ses bras de fer avec l’Espagne et la France ; 4) pas de dividendes malgré sa campagne de persuasion et de dissuasion à l’adresse des pays arabes du Golfe pour nuire au Maroc.

Parallèlement,, on peut relever  1) une douche écossaise à la suite de la déclaration du nouveau chef de la diplomatie française sur la volonté de la France de normaliser sérieusement ses relations avec le Maroc, en tenant compte la nature sacrée de la question du Sahara ; une normalisation sans intégration de cette dimension ne rimerait à rien – et elle serait rejetée par le Maroc ; 2) un affolement criard à la suite de la montée des voix au Royaume-Uni demandant à ce que ce pays appuie clairement le plan d’autonomie proposé par le Maroc en vue de résoudre le conflit du Sahara –voire reconnaitre la souveraineté du Maroc à l’instar des États-Unis.

A cet égard,  une campagne contre cet appel est lancée par les relais algériens au sein du Parlement britannique. Elle risque de faire long feu, car des projets d’envergure stratégique sont lancés entre le Maroc et le Royaume-Uni. Ces projets font évoluer les choses vers une compréhension profonde de la perception conditionnelle de la coopération que le Maroc entend avoir avec ses partenaires.

Naturellement, l’Algérie s’agite et fait appel aux rares relais qui lui restent en Afrique : l’Afrique du Sud. Sans résultat, à l’exception d’une cacophonie qui commence à taper sur les nerfs de leurs interlocuteurs.

La dernière action en date est le lobbying pour l’organisation d’une visite du chef du Polisario en République d’Irlande où il a été reçu par le chef de l’État de ce pays qui remplit une fonction hautement symbolique compte tenu de la nature parlementait du système politique irlandais. Ce n’est pas la première fois que cela arrive. Un geste pareil avait été à l’origine d’une brouille diplomatique entre Rabat et Dublin, dissipée plus tard par l’ouverture d’une ambassade irlandaise à Rabat en 2021. Malgré l’affolement de certaines plumes, cette visite est sans conséquence.

L’ambassade de la République d’Irlande à Rabat déclare que la République d’Irlande ne reconnaît pas la pseudo-rasd. Si cette visite reste inopportune quelle que soit la qualité avec laquelle le chef du Polisario a été reçu, certains observateurs sont d’avis, que certaines sphères politiques en Irlande veulent se démarquer du Royaume-Uni, comme elles l’ont fait à l’occasion du Brexit.

Argument peu convaincant, mais argument qui ne fait ni chaud, ni froid au moment où la question du Sahara file vers sa résolution dans les termes que le Maroc ne cesse de répéter depuis belle lurette : une autonomie dans le cadre de la souveraineté marocaine.

La course de l’Algérie, sous forme de ce qui est appelé ‘’diplomatie économique’’ pour contrer l’implantation, déjà solide du Maroc en Afrique, est une folie furieuse dans la mesure où celui-ci est, depuis plus de trente ans, présent économiquement dans de nombreux pays africains. Le Maroc base sa politique économique africaine sur les principes du codéveloppement, du gagnant-gagnant et d’intégration graduelle.

La création des zones de libre-échange est un processus de longue haleine. Si c’était une partie de plaisir, des économies africaines fortes auraient pu conclure des accords en la matière avec les États-Unis ou l’Union européenne.

La manne financière grâce à la vente des hydrocarbures ne vaut absolument rien sans un projet de société cohérent et une culture politique saine qui puise dans ses racines et non pas dans la pratique du hold-up culturel et civilisationnel.

A rappeler à titre d’anecdote que la lutte via notamment les  réseaux sociaux sur l’origine du zellij entre Marocains et Algériens a connu son épilogue, il y deux jours : le Maroc a offert  une fontaine flambant neuve à l’Union africaine à l’occasion de la 44e session du Conseil exécutif et du 37e sommet de l’Union africaine. Toute l’Afrique sait désormais que le zellij est marocain. Et ce n’est pas seulement le zellij… Une randonnée dans les différents espaces de la région maghrébine peut s’avérer une bonne surprise pour clore le débat sur le patrimoine marocain.

Et il est inutile de remonter plus loin dans l’histoire de la région pour savourer les délices des différentes dynasties marocaines dont le pouvoir embrassait une bonne partie de ce qui est le Maghreb aujourd’hui. Mais le Maroc s’inscrit dans une vision tournée vers l’avenir ; il ne fait recours au passé que pour remettre la pendule à l’heure. Certes, gestion du temps, mais une gestion intelligente et heureuse.

Source : https://maroc-diplomatique.net

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