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Hassan Hami
22 August 2024

Les élections présidentielles américaines: Le bon sens, l’évidence et le jackpot

Les élections présidentielles américaines: Le bon sens, l’évidence et le jackpot
Les élections présidentielles américaines: Le bon sens, l’évidence et le jackpot

Je suis lève-tôt. Ce jour-là, je décide de prendre mon petit-déjeuner dans un café jardin non loin d’où j’habite pour casser la routine de mon régime trop végétarien. J’ai bien fait, car ce que j’apprends sur les élections présidentielles américaines dépasse toutes mes attentes. Les analyses font éclipser pour un temps la situation tragique dans la bande de Gaza. Des clients en famille, pour la plupart, abondent dans l’analyse et la conjecture.

De belles synthèses sont dégagées qui font rougir les commentateurs américains les plus futés. Et ce n’est pas une boutade. Moi, qui ai passé quelques années à Washington DC, n’en reviens pas. Quelques temps plus tard, deux évènements ont lieu : la tentative d’assassinat de l’ancien président Donald Trump, candidat pour un nouveau mandat, et la lettre de renonciation du président Joe Biden à briguer un deuxième mandat d’affilée. Là aussi, les commentateurs marocains brodent des scenarios aussi fantaisistes que plausibles.

Sur les réseaux sociaux, la lettre de renonciation bat tous les records de circulation et de partage – et dans les trois langues véhiculaires dans le pays. Ensuite, une saccade d’articles fait le tour pour inonder l’entendement des experts et des amateurs. Toutes les analyses convergent vers une victoire quasiment acquise du candidat Trump.

Les commentateurs les plus prudents, dont je fais partie, se gardent de l’évidence, car elle est synonyme de platitude. Le bon sens est contre la science, se plaisait à répéter l’un de mes anciens professeurs. Est-ce que je doute de l’issue de ces élections ? Loin s’en faut, mais j’avance des arguments selon lesquels le système politique américain est si complexe, si hermétique, malgré les apparences, que tout peut balancer d’un jour à l’autre. Quels sont mes arguments ?

Equilibriste, épouvantail ou Weakest Link ?

Premièrement, les élections américaines sont perçues en termes d’impact et de retombées sur les échiquiers politiques intranationaux et internationaux. Aux États-Unis, les électeurs américains pensent à 90 %, dans l’ordre : situation économique, sociale et politique. Les Américains ne s’intéressent guère à la politique étrangère de leur pays.

Il y a eu certes des exceptions dans le passé (Première et Deuxième guerres mondiales, guerres de Corée, du Vietnam, d’Irak et d’Afghanistan, les attentats du 11 septembre 2001), qui ont relativement pesé sur les issues des élections présidentielles.

Dans le reste du monde, il y a la combinaison des facteurs externes et internes pour apprécier les élections américaines. Les alliances intranationales sont passées au peigne fin pour se repositionner face à la nouvelle administration et les prises de position en politique étrangère sont adaptées pour gagner du temps –du moins pour les deux années de mi-mandat.

Deuxièmement, la recomposition du champ politique relance, à chaque fois, le débat sur l’équilibre de puissance entre la Maison Blanche et le Congrès (Checks and balances). Ces deux institutions sont, sinon à la merci des grands lobbies (complexe industrialo-militaire, intérêts diffus, forces libérales émergentes, société civile, etc.), du moins elles composent avec ces lobbies du mieux qu’elles peuvent. À l’intérieur de ce puzzle d’intérêt, il y a ce que les gens appellent schématiquement ‘’l’État profond’’, au sein duquel siège une partie des intérêts passés en revue.

Troisièmement, aux USA, il y a un gouffre entre la culture politique américaine et l’humeur du public. L’humeur politique est à distinguer de la structure mentale dans le cas d’espèce. Bien que l’électeur américain soit fidèle à son affiliation à l’un ou l’autre parti (Démocrate ou Républicain), le ballotage arrive souvent à renverser les tendances. Cela ne concerne pas seulement les États Swing.

Quatrièmement, dans ce contexte, si Kamala Harris comme candidate est confirmée comme candidaté lors de la convention nationale du Parti démocrate (19-22 août 2024), la culture politique et l’humeur du public, comme élément d’analyse, seront à observer scrupuleusement.

En effet, si la culture politique accepte en général que des femmes occupent des postes de responsabilité de haut niveau (Administration, Congrès et secteur privé), l’humeur du public n’est pas encore prête à accepter que le locataire de la Maison Blanche soit une femme et encore moins un citoyen d’origine latino-américaine. La parenthèse Barak Obama n’est pas prête à se répéter dans un proche avenir.

Cinquièmement, Kamala Harris, est une femme issue des minorités. Cela présente pour elle une chance et un handicap. Mais il est certain que le genre et le statut social soient moins séduisants pour un électorat qui lorgne les détenteurs du vrai pouvoir aux États-Unis. Ces derniers ont peur de candidats taxés de libéraux avec un penchant plus à gauche que souhaité. Cela serait, semble-t-il, le cas de Kamala Harris. 

Sixièmement, au cours des élections présidentielles de 2016, le facteur qui a fait tomber la candidate Hillary Clinton est la réticence de voir une femme accéder à la présidence. Certes, il y aurait eu des interférences étrangères dans la manipulation de l’opinion publique. Il y aurait eu aussi certaines positions en politique étrangère de l’administration Obama qui n’étaient pas du goût de certaines sphères du complexe militaro-industriel. Cependant, le facteur genre a joué dans la balance.

Septièmement, le destin de Kamala Harris est identique à celui d’Hillary Clinton. Toutes les deux ont été respectivement vice-présidente et Secrétaire d’Etat et toutes les deux ont servi sous la coupe d’un président omniprésent leur déléguant peu de pouvoir de décision. De même, elles ont été perçues comme la continuation d’une administration dont la majorité des Américains, sous l’instigation (ou la manipulation) des intérêts diffus, voulait changer. Par ailleurs, la stratégie des outsiders sur l’échiquier politique américain a fait son temps.

La politique étrangère n’est pas le plat préféré

des électeurs américains

Si les questions de politique intérieure demeurent le facteur le plus déterminant dans les élections présidentielles de 2024, l’influence de la politique étrangère n’est pas à négliger totalement.

Huitièmement, le style de Donald Trump durant le mandat 2016-2020 a été caractérisé par le fait de prêcher le faux pour avoir le vrai. Durant ce mandat, les États-Unis ont été militairement moins interventionnistes. Entre les approches isolationniste, attentiste et interventionniste, le Président Trump avait opté pour un dosage entre les trois approches en fonction du contexte et de l’importance du dossier sur la table.

Neuvièmement, si Donald Trump est réélu, il s’attaquera probablement au dossier ukrainien, aux relations avec les Européens, aux rapports tumultueux avec la Russie et la Chine. Mais il sera moins interventionniste, contrairement à ce que peuvent penser certains experts.

L’Ukraine et la Russie seront invitées à s’entendre sur la base de la nouvelle réalité sur le terrain. Les États-Unis n’ont aucun intérêt à voir la Russie s’effondrer. Les pressions sur l’OTAN reprendront, mais sans permettre à la Russie de se refaire une santé.

Dixièmement, cependant, les alliés européens auront du pain sur la planche. Ils n’avaient pas bien joué la partition qui leur aura été écrite. Flirter avec Moscou jusqu’à certaines limites aurait été toléré. Cependant, les Européens sont allés un peu loin. Ils ont nourri l’espoir de tenir le bâton par le milieu pour reconquérir leur indépendance, chemin faisant. Pari perdu.

La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne a été prévisible, mais pas au point de remettre l’architecture européenne sens dessus-dessous. Si l’indépendance énergétique reste une revendication légitime, la manière dont les Européens l’ont gérée a été moins heureuse. Tout d’abord vis-à-vis de la Russie et ensuite vis-à-vis de l’Azerbaïdjan, du Turkménistan et du Qatar pour ne citer que ces pays.

Soumis au diktat américain et aux sollicitations des autres producteurs, les Européens ont tout perdu au change. Ils ont aggravé leur cas en allant solliciter la Chine à un moment où ils auraient dû marquer le pas.

Il est certain que l’objectif de l’administration sortante a été de privilégier les producteurs américains et le contrôle à distance du marché de l’énergie, mais ces derniers, pour des raisons techniques et logistiques, ont été incapables de respecter totalement les engagements qu’ils avaient pris en échange.

Or, tout le monde s’accorde présentement sur le fait que le marché du gaz naturel ne devrait plus se soumettre à l’impératif de la compétition classique. Il devrait être géré en fonction d’une certaine forme de parité. Cette parité est la seule à même de permettre la relance économique et l’instauration d’une interdépendance bénéfique, même en acceptant une certaine forme d’hiérarchie d’acteurs.

Onzièmement, le Moyen-Orient ne recevra pas l’importance qu’il avait eue lors des années 2016-2020. Certes, les séquelles de la guerre à Gaza auront un certain impact, mais pas au point d’ébranler la conscience des décideurs américains dans leur conviction de soutenir Israël quels que puissent être ses agissements dans les territoires occupés.

La crainte de voir le Moyen Orient sombrer dans une guerre généralisée à la suite de l’assassinat d’Ismail Haniya, chef du mouvement Hamas à Téhéran, le 31 juillet 2024, peut se comprendre ; cependant, aucun pays de la région, et encore moins les grandes puissances, ne sont prêts à faire la guerre pour les Palestiniens.

La vraie crainte serait de voir la Bande de Gaza brader pour être soit réoccupé par Israël, soumis à une influence égyptienne en étroite coopération entre Le Caire et Tel Aviv, soit, comble d’ironie, devenir un cinquième territoire arabe tombé directement ou indirectement entre les mains de Téhéran.

Si une percée est à percevoir au Moyen Orient, ce sera dans la logique de l’offre faite lors du premier mandat Trump (2016-2020). Pour la forme, des pressions seront exercées pour amener Tel Aviv à accepter le principe de deux États. Ces pressions se feraient, mais pas dans la même proportion que celle servie par Georges H. Bush à la veille de la Conférence de Madrid sur la paix au Moyen-Orient en 1991.

Treizièmement, les attentes dans le monde arabe seront déçues. Pour se refaire une raison, les classes politiques resteront friandes de la théorie du complot. On verra sans doute les mêmes commentateurs ressasser l’histoire de Sykes-Picot, de la théorie du changement de régime ou d’un nouveau printemps en voie de se concrétiser.

Quatorzièmement, le dossier nucléaire iranien ne sera pas une priorité dans la mesure où les Iraniens savent à quoi s’en tenir avec un président qui joint la parole à l’action. D’autant qu’ils sont eux-mêmes en période de recomposition du champ politico-religieux qui les appelle à ne pas commettre d’erreurs fatales.

Une chose est certaine, la marge de manœuvre iranienne dans les affaires arabes sera très réduite cette fois-ci (à l’exception de l’hypothèse d’une suzeraineté déguisée de Gaza). Les Iraniens sont conscients que si Donald Trump arrive à la Maison Blanche, il privilégiera la diplomatie dans un premier temps avant d’envisager d’autres options. Trump sera moins interventionniste que ne le laissent entendre certains observateurs. Mais il serait très ferme et intransigeant si les limites tolérées étaient dépassées.

Pour l’instant, l’Iran peut s’enorgueillir d’avoir sauvé les meubles alors qu’il y a quelques mois, il était sur le point de perdre son influence dans la région. Cela aurait pu se réaliser si la stratégie de résolution de conflits gelés et endémiques dans la sous-région avait été mise en œuvre. De même, cela aurait changé radicalement les choses, si la politique de se débarrasser ou de mettre en veilleuse des mouvements paria et des sociétés privées paramilitaires (créés par des centres de décision étatiques) était menée à bien.

Téhéran aurait vu ses bras avancés dans certains pays arabes amputés ou définitivement neutralisés. Il avait sauvé les meubles en participant au déclenchement à distance de la guerre à Gaza et en donnant les moyens au Houtis au Yémen d’avoir plus d’envergure belliqueuse. Il l’avait fait dans la même logique que celle qui a sauvé le régime syrien dans la foulée du Printemps arabe en 2012.

Quinzièmement, la lutte contre le terrorisme sera toujours une priorité pour le président élu. Le terrorisme est une réalité avec laquelle il faut compter. Le terrorisme est aussi un prétexte pour permettre aux États-Unis de brandir les menaces des sanctions contre des États paria et des «États ascenseurs ».

Seizièmement, demain, j’irai prendre mon petit déjeuner dans le même café jardin. Certains, comme l’avaient fait des experts des affaires maghrébines, diront que le Maroc aura tout à gagner si Donald Trump est triomphalement réélu. Mais tout autre candidat Américain, quelle que puisse être sa couleur politique, le permettra.

Dix-septièmement, les gens ressentent la hantise de la question du Sahara marocain. Que les gens mettent un peu d’eau dans leur « vin ». La reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara par les États-Unis est une réalité depuis décembre 2020. Elle ne constitue pas un enjeu de politique intérieure pour les Etats-Unis.

N’en déplaise aux fossoyeurs de service, cette reconnaissance n’est pas un cadeau pour les beaux yeux des Marocains. Elle répond à la logique qu’impose la géopolitique et aux transformations que connait le système international. Les Etats-Unis et un grand nombre de pays au monde réalisent que le Sahara est une question existentielle pour le Maroc. Ils prennent les décisions qui s’imposent en conséquence.

Toutefois, il faut garder présent à l’esprit que les États-Unis sont une grande puissance qui contrôle un système international devenu encore plus unipolaire. Il est devenu unipolaire en dépit du lifting géopolitique introduit dans la structure de ce système. Le dosage et le rééquilibrage au sein des différents sous-systèmes régionaux ne permettent pas encore de délocaliser (ou cogérer) la sécurité mondiale comme cela avait été souhaité lors des années 1990-2000.

Dix-huitièmement, de ce fait, les autres pays maghrébins seront invités à revoir leur feuille de route dans la perception des changements en cours. Ils ne seront pas condamnés, mais plutôt conseillés à prendre le train en marche. Oui, exactement, à condition de commencer par faire le ménage chez eux.

Changement de régime? Non, adaptation et reconnaissance que les rapports de force dans la sous-région sourient aux acteurs qui se développent tranquillement. Le Maroc en fait partie. Il entretient la même force tranquille, en dépit de l’adversité dont il est l’objet depuis des décennies.

En somme, les élections présidentielles américaines tiendront en haleine les commentateurs étrangers, mais surtout les décideurs dans les quatre coins du monde. Cependant, si Donald Trump est élu, il aura déjà à cœur de travailler pour un deuxième mandat 2024-2028 en se concentrant sur la politique intérieure et ne pas trop s’intéresser à la politique étrangère.

Donald Trump aura à cœur de prendre sa revanche sur ceux qui avaient tant travaillé à le discréditer –et même à lui créer des ennuis judiciaires à n’en point finir. Il le fera avec moins de véhémence, mais il le fera quand même.

Et si Kamala Harris (ou tout autre candidat démocrate) faisait démentir les pronostics ? En politique, tout est possible. Mais le possible n’est pas le vœu pieux. En tout état de cause, le prochain locataire de la Maison Blanche donnera la priorité aux questions de politique intérieure durant les deux premières années de son mandat. Les États-Unis auront besoin de réparer l’étiolement d’une Amérique qui, parfois, ne sait plus où donner de la tête.

Quant à la politique étrangère, il ne faut pas négliger, non plus, que les dirigeants des autres puissances rivales des Etats-Unis ne sont plus à la fleur de l’âge ni physique, ni politique. Ils sont, eux aussi, appelés à passer la main ou à concilier entre les exigences de leurs ‘’Etats-profonds’’ et les transformations d’un système international qui ne cesse de donner du fil à retorde aux géopolitologues les plus avérés.

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