Des commentaires à n’en point se retenir au sujet de la visite de Stéphane Séjourné, ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères à Rabat, la semaine dernière. Des attentes, comme ce fut le cas pour ce qui est de la visite du chef de gouvernement espagnol, une semaine auparavant. Au menu de ces attentes, il y avait la question du Sahara marocain. Car, depuis le discours royal du 20 août 2022, le Maroc perçoit ses relations avec ses partenaires en fonction de leur position claire à l’égard des provinces du Sud. La plupart des commentaires traduisent une attitude d’impatience qui passe parfois à côté de la plaque.
Dans ce papier, je vais essayer de démontrer que les questions posées et les réponses données ne prennent pas assez de recul par rapport à l’évolution de la géopolitique depuis les années 1960. En effet, dans la perception de la question de l’intégrité territoriale du Maroc, les paramètres retenus privilégiaient la dimension géopolitique, tout en réussissant à la noyer dans la dimension juridico-politicienne. Les acteurs impliqués directement étaient le Maroc, l’Espagne, l’Algérie et la Mauritanie. Et on a souvent passé sous silence le rôle dans les coulisses de la France– et celui des États-Unis, de l’ex. URSS, observant tout le monde de loin.
Procédons par étape et définissons les acteurs principaux dans cette équation géopolitique complexe. Nous aurons besoin de rappeler certains faits qui ont été, en partie, à l’origine des problèmes causés.
Dans ses mémoires publiés en arabe en 2012, tels que racontés à Robert Merle, l’ancien président algérien Ahmed Ben Bella revient sur les relations entre l’Algérie et le Maroc au lendemain de l’indépendance de son pays. Ben Bella utilise le terme “interdépendance” quand il parle de l’indépendance du Maroc. Il insinue entre les lignes que l’interception de l’avion qui le transportait avec d’autres figures de la révolution algérienne en partance du Maroc n’aurait pas pu se produire sans une certaine complicité marocaine (Ben Bella, p. 120-121-129).
Du reste, le président Ben Bella est devenu célèbre par cette phrase « Hagrounra Lamrarka, les Marocains nous ont humiliés », à la suite du déclenchement de la guerre des sables de 1963, dont la responsabilité, maintenant acquise, incombait aux Algériens qui l’ont provoquée pour ne pas respecter les engagements pris à Tanger en 1958 au sujet de l’intégrité territoriale du Maroc et de la Tunisie.
Dans ses mémoires publiés en 2003, l’ancien président mauritanien, Mokhtar Ould Daddah, revient sur les péripéties de l’implication de la Mauritanie dans l’affaire au Sahara. Il
évoque les menaces dont il a fait l’objet de la part du président algérien Houari Boumediene au moment où la Mauritanie et le Maroc étaient engagés dans des négociations sur l’avenir du Sahara dit espagnol, ayant débouché sur la signature de l’accord tripartite de Madrid (Espagne, Maroc, Mauritanie) en 1975.
De même, El Ouali Moustapha Sayed, l’un des fondateurs du Polisario, a été tué en juin 1976 à Inchiri, alors qu’il supervisait une attaque contre Nouakchott. Des témoignages de dirigeants du Polisario, ayant regagné le Maroc, ont affirmé qu’il aurait été liquidé par des éléments inféodés aux services de renseignement algériens qui le soupçonnaient de vouloir être plus indépendant par rapport à leur politique de subversion à l’égard du Maroc – et même envisageait de traiter avec ce pays sans le diktat algérien. D’autres dirigeants du Polisario subiront le même sort, depuis lors.
Par ailleurs, le roi Hassan II dans un discours mémorable a martelé avec force une phrase qui revient de nos jours comme un leitmotiv, à chaque fois que les gens épiloguent sur les relations entre le Maroc et l’Algérie : ‘’Que les gens sachent avec quel type de voisin nous sommes obligés de cohabiterحتى يعرف الناس مع من حشرنا الله في الجوار” ”.
Quel lien existe-t-il entre ce qui précède ?
Le comportement de la Mauritanie a été assujetti à celui de l’Algérie et du Maroc. Il était aussi influencé par ce qu’en pensent l’Espagne et la France des tenants et aboutissants de la question du Sahara. Le comportement de l’Algérie se manifestait dans l’obstruction tous azimuts aux démarches marocaines et mauritaniennes, qu’elles fussent tempérées ou agressives dans l’effort de faire aboutir leurs revendications. Le comportement du Maroc s’inspirait de l’adage «Laisser le temps au temps », celui-là même que chérissait l’ancien président français François Mitterrand.
Justement, la France. Avec le recul, les observateurs avertis se rappellent que la proposition de partage du Sahara a été une idée française contenue dans un plan mort-né appelé « Sahara demain-SAD) élaboré en 1979. Une date importante, car elle coïncidait avec le retrait de la Mauritanie de Teris al Gharbiyya (actuel Oued Eddahab) que le Maroc réintègre sans tarder pour éviter les péripéties de la guerre d’Amgala de 1976 qui l’a opposé aux troupes algéro-polisariennes, qu’il a défaites. Mohamed Khouna Ould Haidalla, qui a renversé Mostapha Ould Salek, en 1979, a reconnu la ‘’Rasd’’ en 1984.
Or, l’idée du partage ne plaisait pas non plus à l’Espagne, qui avait été -et demeure- menacée par le danger du séparatisme en Catalogne et dans le Pays basque. Mais elle se ressourçait indirectement dans l’obstruction-obsession de l’Algérie à nuire à l’intégrité territoriale du Maroc.
L’Algérie revenait régulièrement à l’idée du partage du Sahara, notamment quand elle s’est aperçue que la création d’une ‘’entité indépendante’’ sur le territoire était chimérique. Elle en était tellement convaincue que le président Abdelaziz Bouteflika la suggéra de nouveau en 2002 à l’occasion de sa visite de travail aux États-Unis. Il avait saisi cette opportunité pour aller à Huston dans le but d’en convaincre James Baker, alors Envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU pour le Sahara occidental.
L’Algérie n’en a pas été à sa première désillusion, car depuis cette date, l’idée du référendum d’autodétermination a été abandonnée. Elle le fut définitivement en 2007, date de la proposition du Plan d’autonomie par le Maroc dans le cadre de sa souveraineté nationale.
Les quatre pays que sont l’Algérie, la Mauritanie, l’Espagne et la France ont gardé, chacun en ce qui le concerne, une dent contre le Maroc. Celui-ci en a fait de même, avec une différence près, mais de taille : il a récupéré son territoire.
Et le Polisario dans tout cela ? Depuis le début, il a été le dindon de la farce. Il l’est encore davantage aujourd’hui ? Pourquoi ? Parce que l’Algérie commence à chuchoter dans les oreilles de tous les responsables étrangers (chefs d’État, ministres des Affaires étrangères, parlementaires et sympathisants des droits humains, etc.) que la question du Sahara -dit occidental est une affaire d’État pour l’Algérie.
L’Algérie sort de la zone confortable, de l’ambigüité dont elle a fait preuve depuis les années 1970. C’est la raison pour laquelle le Maroc exige qu’elle participe aux tables-rondes, comme c’est stipulé dans les dernières résolutions pertinentes du Conseil de sécurité de l’ONU.
L’Algérie sort de l’ombre pour exposer au grand jour son comportement schizophrénique pour reprendre la description pertinente d’Abdellah Laroui. Les épisodes relatés au début de cet article en sont l’illustration, mais encore. Le comportement des décideurs algériens, depuis Houari Boumediene, est de nature revancharde. Des exemples à citer a n’en point se lasser.
Des revanches qui commencent tout d’abord par expulser 350.000 Marocains en réaction à la Marche verte organisée par le Maroc ayant conduit à la signature de l’accord de Madrid sur le Sahara en 1975, entre ce dernier, l’Espagne et la Mauritanie.
Mais aussi, des tentatives de déstabilisation contre la monarchie marocaine. Tout d’abord, en abritant des opposants, et ensuite en fournissant de la logistique au groupe en provenance d’Algérie avec l’intention de perpétrer des attaques terroristes. Le groupe a été appréhendé à Khenifra, en 1973.
Par ailleurs, quand le Maroc a fait une proposition d’organisation d’un référendum d’autodétermination «appelé référendum confirmatif» en 1981 à l’occasion du Sommet de l’Organisation de l’Unité africaine à Nairobi, l’Algérie s’y est opposée, quelques semaines plus tard. ‘Redoutant la suite des événements, elle riposta en 1983 par la signature d’accords frontaliers avec le Mali, la Mauritanie, le Niger et la Tunisie.
De même, quand le président Ahmed Boudiaf a été appelé à la rescousse par l’institution militaire pour faire sortir le pays de l’impasse créée par l’avortement du processus démocratique en 1992, il a été liquidé parce qu’il avait déclaré en public, entre autres, qu’il travaillerait avec le roi Hassan II à une solution équitable de la question du Sahara. Il a eu le même sort que celui de Houari Boumediene, décédé à la suite d’une maladie obscure, en 1978, alors qu’une rencontre secrète avec le roi du Maroc aurait été programmée à Genève.
En 1994, des ressortissants algériens portant la nationalité française ont perpétré des attentats meurtriers contre l’hôtel Atlas-Asni à Marrakech. Les Marocains ont vite soupçonné les services de renseignements algériens d’en être les commanditaires. Le Maroc décrète l’obligation d’obtention de visas par les ressortissants algériens préalablement à leur voyage au Maroc. Cela conduit à la fermeture par l’Algérie de ses frontières avec le Maroc. Une fermeture qui est toujours en vigueur.
L’Algérie récusa le fait que les personnes ayant commis l’attentat fussent des Algériens. Toutefois, les décideurs algériens n’hésitent pas à faire prévaloir la nationalité algérienne d’anciens colons français d’origine algérienne pour demander des dédommagements à la suite de la Marocanisation des terres des colons en 1973. Ils le font à chaque fois que des associations de droits de l’Homme demandent réparation des torts subis par les victimes et les ayants droit qui avaient été expulsés d’Algérie en 1975.
Esprit revanchard, mais aussi attitude réactionnelle baignant dans l’incohérence totale. Des exemples récents en donnent, là aussi, l’illustration.
Attitude revancharde et intimidation infantile
Premièrement, le long réquisitoire de Ramtane Lamamra en 2022 pour justifier la rupture des relations diplomatiques. Une rechute dans le syllabisme dénué d’arguments. Selon Lamamra, dont le texte lui aurait été communiqué par les vrais détenteurs du pouvoir, le Maroc serait la cause de tous les maux dont souffre l’Algérie depuis son indépendance en 1962. Confondant faits historiques et positions diplomatiques, il ramasse la mise de la risée.
Le comportement de l’ancien chef de la diplomatie algérienne, dont la fille, Amel Nesrine, a soutenu en 2010 une thèse d’État sur le Sahara à Cambridge en parlant de l’existence d’une entité artificielle, a été des plus hallucinants. Il s’est mêlé les pinceaux, en oubliant le conseil de Houari Boumediene qui aurait avisé les Algériens de ne pas se hasarder sur le terrain de l’Histoire pour disputer l’ascendance historique ou diplomatique au Maroc.
Deuxièmement, la réaction cavalière, confondant décisions politiques et état d’âme, à la suite de la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté marocaine sur ses provinces du Sud. Une campagne de lobbying à Washington, New York et Huston pour acculer Washington à revenir sur sa décision. Deux anciens Envoyés personnels du secrétaire général des Nations unies pour le Sahara, et un conseiller à la sécurité nationale et ancien représentant permanent des États-Unis aux Nations unies, furent convoités et ne se sont pas fait prier. Peine perdue.
Troisièmement, à la suite de la position remarquée de l’Espagne qualifiant le Plan d’autonomie marocain de seule solution idoine pour régler le conflit régional autour du Sahara, l’Algérie dénonce le traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération signé en 2002, justement au moment où les relations entre Rabat et Madrid étaient en mauvais état résultant de la crise sur l’île de Leila. Elle récidive récemment en annulant la visite du ministre espagnol des Affaires étrangères. Celui-ci aurait refusé que la question du Sahara fût discutée ou qu’il développât un langage qui ferait revenir l’Espagne, même théoriquement (et pour la consommation intérieure en Algérie) sur sa décision favorable au Maroc.
Quatrièmement, des réactions frisant le ridicule à la suite de la tentative de l’Algérie d’inclure la question du Sahara dans l’agenda du Sommet arabe qui s’est tenu à Alger en novembre 2022. Une présidence algérienne de quatre mois, un fait jamais enregistré dans les annales diplomatiques. Un échec cuisant au sein du Mouvement des Pays non-alignés. Une situation de plus en plus inconfortable au sein de l’Union africaine, malgré le soutien inconditionnel de l’Afrique du Sud.
Cinquièmement, des sautes d’humour hallucinantes, à la suite du refus de la médiation algérienne dans la crise interne au Niger. Des manœuvres belliqueuses sur les frontières avec le Mali, à la suite de la dénonciation par Bamako de l’ingérence de l’Algérie dans ses affaires intérieures. Et comme Alger s’est entêtée, le gouvernement malien déclare l’accord d’Alger de paix et de réconciliation au Mali, signé en 2015 avec les mouvements de coordination de l’Azaouad, nul et non avenu.
Sixièmement, à la suite du lancement de l’initiative marocaine du Partenariat atlantique et celle relative au désenclavement des pays africains sahéliens, l’Algérie répond désespérément par l’annonce de la proposition de création d’une zone de libre-échange avec ces pays. Elle profite de l’organisation du Sommet des pays exportateurs de gaz à Alger pour tenter de séduire la Mauritanie et le Sénégal, nouveaux pays producteurs. Elle laisse véhiculer, par médias interposés, que le gazoduc transsaharien (Nigéria, Niger, Algérie) est retenu contre le gazoduc Afrique-Atlantique (Maroc-Nigéria) passant par douze pays, y compris le Sénégal et la Mauritanie. Elle feigne d’ignorer que le chef de l’État nigérian ne s’est pas déplacé à Alger pour l’occasion – sans doute pour ne pas avoir de mauvaises surprises.
Huitièmement, l’Algérie multiplie les manœuvres militaires sur les frontières avec le Maroc, la Libye et récemment, le Mali. En cherchant à faire peur, elle se fait peur. Des mises en garde lui sont adressées par les acteurs majeurs internationaux de se tenir tranquille. Une guerre contre le Maroc ou la déstabilisation des autres pays de la région n’est pas une option que ces derniers verraient d’un bon œil.
Neuvièmement, selon de nombreux observateurs, les décideurs algériens s’activent à chercher un prétexte pour reporter les élections présidentielles prévues, en principe, en décembre 2024. Ils ont besoin de se maintenir au pouvoir au moment où la lutte de clans s’intensifie. L’institution militaire, dont les dirigeants âgés n’ont jamais eu confiance les uns aux autres, est aux abois.
Dixièmement, la carte de l’ennemi extérieur est périmée. Alors, les décideurs algériens procèdent, comme au bon vieux temps, à la purge au sein des différents rouages de l’État en amenant sur la scène publique des boucs émissaires. Ces derniers sont dénichés au sein des adversaires d’hier et d’aujourd’hui et de leurs familles pour faire sensation.
Onzièmement, en abritant le Sommet des pays exportateurs de gaz, le 2 mars 2024, l’Algérie nourrissait l’espoir de réunir les dirigeants de Mauritanie, de Libye et de Tunisie pour relancer l’idée déjà révolue d’une Union du Maghreb sans le Maroc. Elle aurait miroité l’idée d’inviter Brahim Ghali, chef du Polisario, à y assister. Le président mauritanien ayant décidé de rentrer au pays à la suite du décès de l’un de ses proches, aurait fait échouer un tel projet. L’Algérie
détient ses autres voisins en otage. La neutralité observée par la Mauritanie dans le conflit du Sahara semble convaincre les décideurs algériens de revenir à l’idée du Maghreb à trois : Algérie, Libye et Tunisie. Combe d’ironie et de myopie géopolitique.
Onzièmement, la complicité (réelle ou simulée), longtemps tenue secrète entre l’Algérie et la France, au sujet de l’intégrité territoriale du Maroc, n’est plus productive. L’Algérie fait recours, encore une fois, au chantage. Cette fois-ci contre la France. Et pour cause, l’Algérie ainsi que certains centres de décision en France, sont empêtrés dans le passé. Ils peinent à ménager la chèvre et le chou.
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