Il est loin le temps où l’Algérie, épaulée par une armada de pays africains, dits progressistes, faisait le bon et le mauvais temps au sein de l’Union africaine. Le Maroc y est retourné en 2017, et l’édifice-épouvantail, sentant le brûlé, se fait une cure de jouvence pour mettre fin au parti-pris aveugle, à l’indifférence et à la nonchalance de la majorité des Etats membres.
Pourquoi cette introduction? Parce qu’effectivement les temps ont changé. Dans le passé, c’était le Maroc qui se retirait des conférences régionales et internationales dans lesquelles sa carte géographique était amputée des Provinces du Sud. Cela fut dicté par son retrait de l’Organisation de l’Unité africaine en 1984, à la suite du hold-up juridique accompli, grâce à la complicité du secrétaire général de l’époque, Edem Kodjo, faisant admettre une entité artificielle au sein de cette organisation.
Aujourd’hui, c’est l’Algérie qui a la hantise de la carte. Elle se retire de toutes les réunions dans lesquelles le Maroc est représenté par une carte comprenant ses Provinces du Sud. L’Algérie se retire après avoir tiré toutes ses balles dans le vide. Elle n’arrive même pas à ramasser les balles vierges pour en faire usage utile, faute d’industries de transformation. Cet état de fait est lié à la structure mentale de ses dirigeants qui se plaisent à végéter dans les marécages de l’entêtement.
Plus sérieusement maintenant. Pendant de longues années, l’Algérie a, non seulement promu l’idée qu’elle n’était pas intéressée par le territoire du Sahara, mais elle a aussi joué sur le mental des Marocains, en se portant le porte-fanion de la cause ‘’dite sahraouie’’. En effet, l’appareil diplomatique algérien a été instruit de jouer cette double partition à la limite du cynisme.
Il me vient en mémoire le souvenir de ce diplomate algérien, dont une partie de la famille réside au Maroc ainsi que celle de son épouse d’origine marocaine. Il avait la manie de me taquiner en lançant: “Votre ami sahraoui est attendu demain en visite officielle”. On le savait, bien sûr. Les autorités de ce pays africain, où nous étions, étaient prévenues que la multiplication de ce type de provocation était nuisible aux relations avec le Maroc.
Un jour, on se trouve à l’aéroport. Mon collègue algérien est aux anges. Au moment où “le fameux sahraoui” (Mohamed Abdelaziz) était conduit au salon d’honneur, Danielle Mitterrand, présidente de l’Association France Liberté, s’apprêtait à quitter ce pays africain. A l’époque, Danielle Mitterrand avait une dent contre le Maroc et le faisait chanter sous prétexte de défendre les droits de l’Homme. Mon collègue algérien voulait me faire croire qu’une rencontre fut planifiée entre les deux. Il n’en fut rien, bien sûr, et les autorités de ce pays l’ont fait savoir en invitant les diplomates algériens à ne plus s’adonner à ce type d’enfantillage diplomatique.
L’Algérie tirait les ficelles au point que l’ancien président Abdelaziz Bouteflika aurait confié à un haut dignitaire marocain en visite à Alger, au lendemain de son arrivée au pouvoir en 1999, que lui, même chef d’Etat, n’avait pas la main sur le dossier du Sahara et que si ce dossier était résolu, les décideurs algériens n’auraient rien à offrir à leur peuple pour “se maintenir au pouvoir”.
Ce discours ne tient plus. L’Algérie, qui criait aux abois, comme une louve perdue, est sortie de sa tanière à la suite de la saccade de reconnaissances par plusieurs pays de la souveraineté du Maroc sur ses Provinces du Sud. Et du coup, les atouts, dont elle dispose théoriquement, ne tiennent plus.
Erosion des atouts tangibles renouvelables
Stanley Hoffmann parlait déjà, il y a plus de quatre décennies, d’atouts tangibles non renouvelables en tant que déterminants de la puissance que détiennent des acteurs étatiques. Ces atouts sont importants dans des configurations géopolitiques dans lesquelles la hiérarchie des acteurs est difficile à déterminer. Les hydrocarbures faisaient partie de ces atouts tangibles non renouvelables.
L’idée est que des matières premières, qui font la force des Etats dans des périodes de marchandage serrées, leur permettent de marquer des points ou même de remporter la partie. Mais étant non renouvelables, comme c’est le cas des hydrocarbures, elles peuvent se transformer en facteurs de faiblesse nuisibles à la puissance requise.
On n’est pas loin de l’idée des hydrocarbures en tant que malédiction pour certains pays en développement qui en sont les producteurs. L’Algérie en fait partie. La manière dont elle a utilisé la carte du gaz pour faire chanter des pays européens, dont l’Espagne, est on ne peut plus éloquente. Or, cet atout est en train de rejoindre le musée de l’histoire.
Non seulement l’Espagne a pris la décision juste de corriger sa myopie géopolitique par la reconnaissance de la souveraineté du Maroc en mettant en exergue le Plan d’autonomie comme la seule option réaliste pour résoudre le conflit régional autour du Sahara, mais elle a aussi ridiculisé l’Algérie en limitant sa dépendance vis-à-vis du gaz algérien. Les manœuvres des décideurs algériens pour influencer les élections générales espagnoles, qui se sont déroulées le 23 juillet 2023, n’ont pas atteint l’objectif escompté.
Bernés par l’existence d’une aura présumée sur l’échiquier politique français, les décideurs algériens ont tenté le même coup en France lors des élections législatives (29-30 juin- 6 et 7 juillet 2024.) Si bien que la phrase souvent ressassée par des responsables algériens, selon laquelle ce serait l’Algérie qui faisait élire les candidats à la magistrature suprême dans l’ancienne métropole, provoque l’hilarité des observateurs. Les décideurs algériens faisaient valoir deux cartes: la diaspora algérienne binationale et l’accord de 1968 sur les privilèges accordés aux Algériens en France.
De la rente mémorielle, à la criminalisation de la colonisation, à la menace de demander réparation des dommages causés par les tests nucléaires (1962-1966), l’Algérie multiplie le chantage pour obliger la France à revenir sur sa décision de reconnaitre la souveraineté marocaine sur le Sahara. Peine perdue. Le géant aux pieds d’argile—ou le dindon de la farce—ne peut, dans le meilleur des cas, que tourner en rond.
Le géant aux pieds d’argile est vulnérable. Il n’est pas conscient que la force (et la hauteur), dont il se targue, reste à la merci des aléas de la nature et du temps géopolitique. L’Algérie a deux déficits politiques et diplomatiques qu’elle est en devoir d’expliquer aux Algériens et aux observateurs avérés.
D’une part, la signification réelle des accords d’Evian signés le 18 mars 1962. L’Algérie ne peut pas effacer d’un revers de la main le discours du Général Charles de Gaulle en 1961, à la veille des trois phases du référendum d’autodétermination. Le chef de l’Etat français a notamment dit: “Mais ce qui nous intéresse, c’est qu’il sorte de ces accords, s’ils doivent se produire, une association qui sauvegarde nos intérêts. Si ni la sauvegarde, ni l’association ne sont possibles, du côté algérien (…) il nous faudra (…) faire quelque chose de particulier aussi longtemps et pour autant que, pour nous, l’inconvénient ne sera pas supérieur à l’avantage”.
Depuis quelques mois – et à la faveur des réseaux sociaux et des intervenants algériens, y compris des chercheurs sérieux- les décideurs algériens n’arrivent pas à expliquer pourquoi les accords d’Evian sont entourés d’un hermétisme qui frôle l’insensé.
D’autre part, la portée et les limites de l’accord de 1968 sur les privilèges accordés aux Algériens. Les décideurs algériens sentent le vide autour d’eux à l’idée que, tôt ou tard, l’accord de 1968 sera sérieusement remis en cause dans le cadre de la remise en cause profonde de la nature réelle des relations franco-algériennes.
Certes, l’indépendance conditionnelle peut être vérifiée dans de nombreuses anciennes colonies, mais dans le cas algérien, elle est associée au terme ‘coopération’ ininterrompue avec la France. Une sorte d’interdépendance unilatérale dans laquelle la hiérarchie des acteurs est marquée du sceau de l’asymétrie et de la dépendance feutrée.
La hantise de tout perdre au change traduit, dans la structure mentale des décideurs algériens, la phobie de voir leur rôle de “courtier géopolitique” à jamais récusé.
Le mythe des origines, comme il est loisible de taxer l’argumentaire de ceux qui ne trouvent pas d’empreinte tangible dans l’histoire de l’Afrique en général, est une échappatoire qui a fait les jours des apprentis sorciers historiens durant les années 1980-1990. Puis, certains historiens, y compris des Algériens, décident de ne plus jouer le jeu et d’appeler les choses par leurs noms.
D’où, le refrain sur le mythe des martyrs. Par respect, je m’interdirais d’entrer dans le débat sur la pertinence et la véracité des circonstances qui ont conduit à l’enregistrement d’un nombre aussi hallucinant pour que l’entendement des communs des mortels puisse le concevoir.
Les décideurs algériens sont aux abois. Ils ont perdu l’un des atouts les plus importants qui avait fait leur gloire pendant trois décennies: la sous-traitance sécuritaire.
La fin de la sous-traitance sécuritaire
Il y a quelques mois, le président algérien, Abdelmajid Tebboune, a évoqué pour la énième fois le rôle incontournable de son pays en tant que garant de la sécurité en Afrique. Il s’est référé indirectement au paradigme de “l’État-pivot”, en rappelant que l’Algérie, le Nigéria et l’Afrique du Sud avaient été qualifiés de pays locomotives de l’Afrique par des centres de recherche américains.
Inconsciemment, le chef de l’Etat algérien se référait à l’axe que les trois pays avaient tenté de raviver (en plus de l’Ethiopie) en 2023, sans grand succès, dans le cadre des marchandages autour de l’accession aux BRICS. Or, un acteur pivot ou sous-traitant sécuritaire a besoin de l’espace pour tourner. L’Algérie n’en a plus—elle n’en a jamais vraiment eu.
En effet, durant de longues années, les décideurs algériens se plaisaient dans la confection de narratifs sur la théorie de l’encerclement (ou endiguement improprement traduite de l’anglais appliques aux relations entre l’URSS et l’Europe). Ils ont même réussi à intéresser des chercheurs à l’image de John P. Entelis, qui a séjourné en Algérie et écrit en 1986 un livre intéressant intitulé “Algeria, The Revolution Institutionalized”.
Aujourd’hui, l’Algérie se trouve dans la situation de l’arroseur arrosé. Elle expérimente la signification réelle de “l’encerclement” en étant pratiquement isolée dans son voisinage. A l’exception de la Tunisie, qui se trouve dans une situation équivoque, avec laquelle elle entretient des relations plus au moins normales, l’Algérie a des problèmes avec les pays du Sahel, des parties en conflit en Libye sans parler du Maroc qu’elle qualifie d'”ennemi éternel”.
L’impasse dans laquelle se trouve l’Algérie, mais aussi d’autres pays de la région, est la caducité de la notion de recul stratégique. Cette notion a été souvent associée à celle de l’équilibre de puissance dans une configuration où les acteurs en conflit cherchaient des alliances dans les espaces limitrophes pour augmenter leur capacité de marchandage. Le recul stratégique de l’Algérie était l’Afrique subsaharienne et la bande sahélo-saharienne.
Le recul stratégique était combiné avec l’ascendance à sous-traiter l’influence française dans la région et à faire usage de l’arme des hydrocarbures vis-à-vis de l’Europe.
Aujourd’hui, l’Algérie fait face à des choix incontournables sur les échiquiers politiques interne et international. Certains diraient des choix existentiels. La fuite en avant en est un. Elle a démontré ses limites durant les dix dernières années. Le réalisme en est un autre.
Sur le plan interne, le temps est arrivé pour se débarrasser de la taqîa à l’algérienne, c’est-à-dire la fin de la mascarade d’un pouvoir bicéphale. Il y a un seul État, et il s’appelle l’Algérie. Les instruments de manipulation des opinions publiques avides du sensationnel sont en panne.
Par ailleurs, l’Algérie est appelée à se réinventer en se réconciliant avec son passé. La transition politique est possible si la classe politique, bernée par des faits historiques tirés par les cheveux, sort de son émerveillement factice. Cela passe impérativement par mettre fin—ou du moins relativiser—la vérité sur un passé historique truffé de ratés et interpeler une idéologie construite sur la base de mensonges et de manipulations qui ne riment plus à rien face à la révolution des technologies de l’information.
Sur le plan international, l’Algérie serait plus inspirée de récuser l’idée, maintenant consacrée, qu’elle donne l’image d’un partenaire dont la crédibilité, ces dernières années, laisse à désirer. Depuis un certain temps, la diplomatie algérienne, jadis qualifiée de “militante”, devient réactionnelle, nerveuse, utilisant un langage “politiquement incorrecte” et sombrant dans l’hérésie.
On se rappelle le long réquisitoire que l’ancien ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, a prononcé pour justifier la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc, le 24 août 2021. On se rappelle aussi cette chasse aux sorciers, dont l’Algérie devient fameuse, taxant tous les pays qui soutiennent le Maroc dans l’affaire du Sahara, de comploteurs contre (voire d’ennemis de) la révolution algérienne.
D’aucuns s’étonnent de l’engagement de la diplomatie algérienne sur le sentier de la vindicte politique oratoire, dont la résultante est le non-respect des engagements pris. Des prétextes qui démontrent une impuissance grandissante à relever les nouveaux défis et à se plier aux impératifs de l’adaptation.
L’Algérie est perdue dans un labyrinthe idéologique dont elle ne maitrise plus les contours. Elle continue de donner abri à des mouvements d’opposition dont le rayonnement n’est plus d’actualité. Elle en invente d’autres, comme elle l’a fait avec un mouvement présumé d’opposition rifaine ou d’amener des individus comme auditeurs devant le C24 des Nations unies (10-21 juin 2024) avec la mission de dénigrer le Maroc et ses institutions politiques. Elle manipule le mouvement touareg dans la région du Sahel, etc. Elle entretiendrait encore des antennes d’opposition irlandaise, basque, catalane, palestinienne ou omanaise.
Sur le plan panarabe, l’Algérie ne se lasse de répéter son appartenance au “Front arabe de refus”. Un front idéologique qui change d’allégeance et entretient, au grand étonnement des observateurs avertis, la confusion identitaire des pays membres.
Parti unique, pensée unique, une pierre tombale dans le cimetière des causes perdues
En somme, le pays reste fidèle à l’idéologie du parti unique, en dépit d’un multipartisme de façade que contrôle l’institution militaire, elle-même, dans le désarroi ne sachant plus à quel saint se vouer.
L’histoire des nations qui se respectent retient que lorsque les crises interétatiques atteignent un niveau où l’erreur n’est plus tolérée pour éviter l’irréparable, les sages prennent la relève et initient des ouvertures diplomatiques. Qu’en est-il de l’Algérie, maintenant qu’elle a tout réussi dans l’échec ?
Si une nouvelle phase de reprise des relations avec le Maroc était ouverte, elle devrait être conçue dans ce qu’il est appelé “One single undertaking”. Tout mettre sur table pour éviter les amalgames et revenir, plus tard, sur les engagements pris.
Il est certain que, dans l’état actuel des choses, seuls des idéalistes politiques croient à un scénario pareil. Mais si cela devait arriver, il y aurait des choses à prendre en considération dans l’esprit de “One single undertaking”.
Cela devrait commencer par remettre les choses à leur place. Une telle entreprise se présente à plusieurs niveaux. Le premier niveau serait celui de dire la vérité sur l’origine et les causes de la guerre des Sables de 1963. Le Maroc n’avait rien à voir avec le déclenchement de cette guerre. La responsabilité en incombe à des membres du Front de libération nationale (FLN) qui s’étaient retournés contre le gouvernement provisoire algérien pour que l’Algérie renonce à ses engagements concernant le Sahara oriental.
Le deuxième niveau serait celui de reconnaitre la responsabilité morale et politique de l’Algérie dans l’expulsion de 45.000 Marocains, le 18 décembre 1975. Elle doit mettre fin à son jeu ridicule de faire le parallélisme avec la question de la Marocanisation de l’économie marocaine en 1973. Le Maroc a exproprié et dédommagé des ressortissants français, abstraction faite de leur race ou origine ethnique. Et ceux que l’Algérie prétend défendre portaient la nationalité française.
Le troisième niveau serait celui de revisiter la Convention sur les frontières signée le 15 juin 1972 et de revoir ses clauses pour lever tout amalgame. Cela me semble logique dans la mesure où si l’Algérie adopte une loi criminalisant la colonisation, elle devra aussi criminaliser tout ce que la colonisation a fait dans ses colonies, y compris l’amputation des territoires aux pays voisins et leur rattachement à l’Algérie.
Le quatrième niveau, versant dans la même logique de la criminalisation, serait celui d’inviter l’Algérie à dédommager tous les pays voisins. D’une part, pour les avoir fait chanter en donnant refuge à des mouvements d’opposition. Et d’autre part, d’avoir financé et armé ces mouvements avec l’objectif déclaré de changer les régimes politiques dans leurs pays respectifs.
Le cinquième niveau serait celui de reconnaitre sa responsabilité d’avoir tué dans l’œuf les rêves maghrébin et panafricain et d’avoir joué le rôle d’État-ascenseur sans, comble de l’ironie, rien récolter en échange.
Sixièmement, l’Algérie devrait réfléchir à ce qu’elle devrait faire des populations qu’elle a fait venir des pays voisins pour gonfler le nombre des locataires des camps de Tindouf. Le Plan d’autonomie proposé par le Maroc en 2007 concerne les vraies populations originaires des Provinces du Sud qui constituent une goutte dans l’océan saharien de Tindouf.
Septièmement, l’Algérie devrait admettre que le temps des agents interposés utilisés à des fins diplomatiques et géopolitiques est terminé. Le système international qui traverse une période de transition laborieuse, en termes de composantes et de structures, ne s’accommode plus du “désordre créatif”. Le polisario a fait son temps. Il se retournera contre l’Algérie comme le paradigme “Patron-Client” l’a démontré dans des cas similaires.
Huitièmement, la mise en scène insipide que les délégués à la conférence ministérielle préparatoire du Sommet sur le développement de l’Afrique (TICAD) à Tokyo ont regardée, l’air incrédule, le 23 août 2024, ne laisse aucun doute sur l’état psychologique des planificateurs politiques algériens. Braver la décision prise le 23 juillet 2024 lors du dernier sommet d’Accra sur les relations entre l’Union africaine et ses partenaires internationaux fermant la porte devant toute entité non membre des Nations unies, est la preuve tangible de la faillite d’une diplomatie, d’une idiologie, d’un système. Du banditisme diplomatique dans toute sa superbe.
Neuvièmement, le rêve d’avoir accès à l’Atlantique s’étant évaporé, l’Algérie se doit de se rendre à l’évidence que c’est avec le Maroc que les choses sérieuses doivent être discutées, concomitamment à la relecture en profondeur de la Convention sur les frontières de 1972.
Dixièmement, ironie du sort, l’exploitation des richesses dans le Sahara oriental est organiquement liée à cette convention. C’est la raison pour laquelle les annonces en pompe de l’arrivée d’investisseurs étrangers, depuis trois ans déjà, pour l’exploitation des gisements de fer de Garat Jbilat, sont refroidies par la renonciation de ces derniers. Ils ne s’engagent pas, car ils se rendent compte des dispositions claires contenues dans la Convention sur les frontières. Le Maroc sort gagnant à tous les coups, n’en déplaise aux crieurs publics de service.
Onzièmement, l’Algérie doit se réconcilier avec son passé par la réouverture, donc, de la question des frontières, non pas pour une rétrocession, mais pour la création d’une zone de prospérité commune. La situation confuse sur les frontières entre l’Algérie et la Libye résulte du fait que cette dernière ne reconnait pas le tracé des frontières. En effet, en dépit de la complicité entre Houari Boumediene et Mouammar Kadhafi sur la balkanisation du Maghreb, ce dernier n’avait jamais voulu reconnaitre le fait accompli hérité de la colonisation.
Douzièmement, l’Algérie doit résoudre un dilemme existentiel d’importance. La naissance de l’Algérie remonte à 1962, à la suite d’un référendum d’autodétermination négocié en trois étapes (Evian-référendum national-référendum dans le département administratif algérien). Une indépendance conditionnée par la coopération (et l’association) avec la France.
Le référendum a été conçu dans le cadre de la perception de ce principe dans le cadre du droit public interne. Une consultation des populations qui ont la nationalité française sur leur volonté d’avoir plus ou moins de pouvoir au sein de la communauté. La déclaration du Général Charles de Gaulle, citée plus haut, en est l’illustration la plus éloquente.
En somme, l’Algérie doit méditer sur le postulat géopolitique qui veut que la manipulation des paradigmes n’est pas une clause de style pour épater la galerie. Les paradigmes et les concepts s’appliquent, s’adaptent ou disparaissent.
Dans ce cas, il est intéressant de voir comment le concept “encerclement” a été promu et utilisé par l’Algérie depuis 1962 pour justifier une révolution qui voulait tout changer dans le voisinage. Les parrains de ce concept -miroir aux alouettes- ont oublié que les temps changent et que la géopolitique n’est pas une science exacte.
Aujourd’hui, l’Algérie participe à son propre encerclement par être en conflit avec tous ses voisins. Les frontières avec ces derniers sont fermées ou décrétées zones militaires interdites à la circulation des biens et des personnes.
L’Algérie a besoin de respirer, c’est pourquoi elle opère à deux niveaux. Elle tente d’une part, de mettre la main, de manière subtile, sur la Tunisie (broder sur une situation de dépendance sécuritaire épistolaire), et de l’autre, de créer de nouvelles zones d’instabilité permanente et les gérer à distance. Deux zones sont prisées dans l’état actuel des choses : les frontières contestées par le Mali et la Libye.
Pourquoi ? L’Algérie est désormais convaincue que le polisario est une histoire du passé et que les mouvements extrémistes et terroristes à la création desquels ses services de renseignement avaient participé sont en train de lui filer entre les mains et de chercher d’autres parrains.
Dans deux mois, le Conseil de sécurité des Nations Unies adoptera une nouvelle résolution sur le Sahara. Il tiendra compte des nouvelles donnes matérialisées par la série de reconnaissances de la souveraineté marocaine sur le territoire. L’Algérie, qui s’est fait piégée en y étant élue membre non permanent, devra avaler la pilule amère.
Elle n’a de choix que d’être réaliste et pragmatique ou consacrer la fuite en avant assassine de ses intérêts. L’Algérie est attendue sur la question de la définition des parties au conflit. Depuis belle lurette, tout le monde est convaincu que l’Algérie y est la principale partie. Dans ce cas, elle doit reprendre sa place autour des tables-rondes. L’Algérie sera appelée, encore une fois, à autoriser l’UNHCR à recenser les populations assiégées dans les camps de Tindouf.
Sachant l’entêtement diplomatique de ses dirigeants et l’absence d’alternative sur l’échiquier politique international, l’Algérie choisira, à moins d’un miracle, la fuite en avant. Une chose est certaine, elle hérite d’une cause qui va être, comme certains le pensent et ne souhaitent pas, la cause de l’effondrement d’un système qui s’est construit, depuis 1962, sur la base du brassage du vent à n’en point finir.
Or, le temps géopolitique présent ne le permet plus. Les orphelins de la guerre froide sont appelés désormais à pleurer leur sort dans les cimetières des causes – injustement défendues- et perdues.